Samantha ROTHMANN
Auteur de romans
LA REVUE DU ZEBRE
Le Journal du Haut Potentiel Intellectuel
Samantha ROTHMANN est l’auteur de Mémoires d’un serpent à lunettes. Ce livre-témoignage se présente sous la forme d’un recueil de souvenirs. Il aborde la question du harcèlement scolaire du point de vue de l’élève brillant confronté à l’incompréhension de ses « camarades » et à l’inadéquation entre ses capacités et le niveau d’enseignement prodigué. Il dresse la critique d’un système éducatif français à la dérive. Interview…
La Revue du Zèbre : Pouvez-vous vous présenter ?
Samantha ROTHMANN : J’ai 31 ans, je suis ingénieur dans la métallurgie depuis sept ans. Je me définirais comme quelqu’un de passionné. De nombreux domaines artistiques me transportent. Mais celui qui m’enchante le plus est sans conteste la musique, en particulier classique et sacrée. Lectrice assidue, j’ai aussi toujours aimé écrire à mes heures perdues. Mais ce besoin viscéral s’est pleinement révélé à mon entrée en sixième avec la découverte de la situation catastrophique que connaissait l’Ecole. La suite de mes études, ainsi que le début de ma carrière, en tant que prof de maths, n’ont fait que conforter ma position. Mémoires d’un serpent a lunettes est né de ce cheminement.
La Revue du Zèbre : Qui sont les élèves qui s’ennuient à l’école ?
Samantha ROTHMANN : Il en existe deux catégories : ceux dont les différentes matières de l’Ecole ne parviennent pas à attiser la curiosité, quel que soit leur niveau. C’est le cas le plus fréquent. Et il y a ceux dont on ne parle jamais, qui trouvent que la cadence d’apprentissage n’est jamais assez rapide. Ils comprennent en cinq minutes ce que d’autres ne maîtriseront pas en un an, ou prévoient ce que le prof va annoncer avant qu’il n’ait ouvert la bouche… C’est le sujet de mon livre, ce que j’ai vécu.
La Revue du Zèbre : Pourquoi, selon vous, s’ennuient-ils ?
Samantha ROTHMANN : L’ennui des premiers a plusieurs origines : des méthodes pédagogiques inadaptées, des sujets rébarbatifs, un professeur désagréable, une matière pour laquelle on n’a pas d’appétence, son caractère parfois vain… Mais, selon moi, il faut aussi soupçonner, outre ces causes triviales, une authentique réticence à l’effort chez ces élèves. L’ennui résulte parfois tout simplement d’une forme de paresse et d’un manque de volonté, voire de courtoisie. Oui, maintenir son attention en dépit de la technicité du propos exige un effort, mais la politesse élémentaire ne commande-t-elle pas de prendre sur soi dans ce cas ? L’ennui des seconds a des causes inavouables : ils n’apprennent rien ou si peu… Parce qu’ils assimilent les informations plus rapidement et doivent se conformer au rythme désespérément lent imposé par la majorité. Parce que l’Ecole, au lieu de révéler leur potentiel et leur créativité, les incite à les enfouir afin qu’ils ne se distinguent pas des autres. Mais aussi parce que la conversation de leurs camarades leur paraît superficielle et à mille lieues de leurs préoccupations existentielles.
La Revue du Zèbre : Estimez-vous que l’école devient inutile, voire nocive, pour les élèves HPI et tous ceux qui sortent des normes ?
Samantha ROTHMANN : On ne peut pas dire que l’école devient inutile, car elle participe toujours d’une forme de socialisation et heureusement, de diffusion de la culture générale. Mais il faut bien reconnaître que les compétences exigées dans les programmes sont devenues quasi nulles ; ouvrez un manuel de quatrième et vous constaterez l’étendue des dégâts. Un HPI n’a nul besoin de ce volume horaire démentiel pour se voir rabâcher ce qu’il a compris depuis longtemps déjà. Autre élément mais non des moindres, le HPI ressent très tôt ce décalage avec ses camarades, tant sur le plan de l’apprentissage que des centres d’intérêt. Les autres ne peuvent pas s’intéresser à cet extraterrestre pédant et lui ne peut pas se mêler à des camarades qu’il juge puérils. Il s’en suit un isolement progressif qui, s’il n’est pas physique (un élève reste seul dans la cour), est intérieur (se sentir seul en étant entouré). Quand on ajoute à cela le harcèlement que subissent fréquemment ces élèves, comme tous ceux qui présentent une particularité, bien sûr que l’école devient nocive.
La Revue du Zèbre : Ce livre est un recueil de souvenirs. Dans quelle mesure avez-vous, pendant votre scolarité, souffert de votre « différence » ?
Samantha ROTHMANN : J’ai cru mourir d’ennui et de désespoir. A cause de mes facilités en classe et de mon incapacité à interagir avec les autres, j’ai été harcelée pendant mes trois années de collège (j’ai sauté la classe de cinquième) dans l’indifférence générale. Je ne me sentais d’accointance avec personne, j’étais seule au monde. Ce livre, écrit sur vingt ans, retrace l’ensemble de ma scolarité et décrit ce sentiment de décalage et d’incompréhension qui m’a poursuivie pendant toute sa durée ; il dresse en outre la critique d’un système éducatif inadapté, sectaire, laxiste, qui refuse l’excellence (bien qu’il m’arriva de croiser, heureusement, quelques bons professeurs auxquels je rends hommage dans le livre).
La Revue du Zèbre : Que préconiseriez-vous pour améliorer la situation ?
Samantha ROTHMANN : Ce que j’ai voulu faire à travers ce livre, c’est raconter mon vécu et la manière très personnelle dont je m’en suis sortie. Je ne prétends pas détenir de solution miracle. En effet, la déliquescence de l’Ecole découle de l’effondrement intellectuel du pays et de la crise d’autorité ; restaurer cette dernière impliquerait de mettre en place des mesures de fermeté au niveau politique, mais même en imaginant que ce soit le cas, l’inversion de la tendance prendrait des années, voire des décennies… Ainsi, sans vouloir faire preuve de pessimisme, l’élève HPI est voué à une certaine solitude… mais qui n’est pas forcément incompatible avec le bonheur !
La Revue du Zèbre : Que conseilleriez-vous à de jeunes surdoués qui peinent à trouver leur place à l’école aujourd’hui ?
Samantha ROTHMANN : En premier lieu, si on se sent sous-alimenté intellectuellement, se confier à ses parents, en informer l’établissement, et éventuellement demander de passer dans la classe supérieure. S’il y a du harcèlement surajouté, exiger de l’établissement qu’il sanctionne les fautifs ; si c’est insuffisant, rassembler des preuves du harcèlement et porter plainte. On peut également s’inscrire dans une école spécialisée. Ou bien étudier à la maison, tout en se forçant à fréquenter d’autres jeunes dans des activités extrascolaires, sous peine de se couper du monde pour de bon. Et surtout, pendant son temps libre, se consacrer à une passion dévorante.